En 1904, le père fondateur du judo, Jigoro Kano, envoya l’un de ses plus talentueux élèves pour enseigner son art sur le continent américain : Mitsuo Maeda.
Maeda est né en 1878 dans le département d’Aomori. Durant son enfance déjà, il pratiquait le ju-jitsu dans l’école Tenshin Shinyo où Jigoro Kano l’avait précédé en tant qu’élève. Mais c’est à 18 ans qu’il intégrera la première et grande école de judo : le Kodokan. C’était un combattant très motivé qui ne laissait que peu de chances à ses adversaires, et ce malgré son petit gabarit : 1m65 pour 70 kilos. Ainsi en peu de temps, il devint le judoka le plus prometteur du kodokan.
C’est en 1904, à l’âge de 26 ans et après avoir obtenu son 4ème dan que Mitsuo Maeda saisit la chance de partir en Amérique. Au début, il subit quelques déboires dans ses démonstrations et n’eut finalement que peu de succès en tant que professeur de judo aux États-Unis. Pour ces raisons, il accepta ce qui était une violation du code moral du Kodokan : un combat libre contre un pratiquant d’une autre discipline. Il remporta la victoire contre le lutteur new-yorkais et empocha la prime. Cet événement marqua le début de sa carrière professionnelle de combattant.
Maeda était quelqu’un d’assez malchanceux, aux choix parfois malheureux. C’est ainsi qu’en 1908, alors qu’il était en voyage en Espagne, il reçut le surnom de « Conde Koma ». Koma étant un diminutif de komaru qui signifie « avoir des ennuis » en japonais, et conde qui veut dire « comte » en espagnol. Ce sobriquet peu glorieux ne l’empêcha cependant pas de devenir une légende, avec près de 2000 combats à son actif.
En 1917, du fait de la montée d’un sentiment anti-japonais aux États-Unis, Maeda prit la décision de s’installer pour au Brésil à Belém où une politique d’immigration plus souple était en vigueur. Il continua là-bas son rôle de professeur, enseignant son art à l’armée, à la police ainsi qu’à de simples citoyens.
Il fut aidé dans son entreprise par un politicien brésilien d’origine écossaise : Gastão Gracie. Le Japonais, touché par l’attention que lui portait ce haut dignitaire, prit l’initiative non seulement d’initier Carlos, le fils de ce dernier, au judo, mais également de lui enseigner les arcanes du ju-jitsu en allant à l’encontre de la tradition du secret que lui avait inculqué ses maîtres japonais. La naissance du jiu-jitsu brésilien sera intimement liée au destin de cet homme…
Carlos Gracie
En 1917, Carlos Gracie assimila très vite les leçons qui lui furent prodiguées durant cette année d’apprentissage. Ce savoir acquis, Carlos décida de le partager avec ses frères Oswaldo, Gastao, Jorge, et Hélio ; avec leur aide, il perfectionna les techniques et en 1925, il ouvrit sa propre école à Belém : la « Gracie Jiu-Jitsu Academy » : le jiu-jitsu brésilien était né.
Les frères Gracie gagnèrent très vite en popularité et en confiance ; ainsi, tout comme Maeda avait passé sa vie à défier les autres styles de combats, ce clan de guerriers alla d’école en école pour combattre les plus forts afin d’asseoir la réputation de leur art tout en se perfectionnant dans celui-ci. Dans cet exercice difficile et risqué, le plus jeune frère se démarqua particulièrement : Hélio Gracie.
Helio Gracie
Hélio était loin d’être prédestiné à combattre : en effet, il était plutôt faible physiquement. Il lui arrivait de s’évanouir après l’effort. Il n’était pas non plus très grand : il mesurait 1m60 pour 65 kilos. Et c’est justement dans ce sens qu’il développa son jiu-jitsu, en ayant toujours en tête que ce style de combat tirerait son efficacité du fait que même les pratiquants de petit gabarit ne serait pas lésés par des techniques impraticables pour qui ne posséderait pas le physique approprié.
Hélio fit ses premiers pas sur le ring en 1917 en battant un boxeur en 30 secondes par un étranglement dans un match de « vale tudo » (terme pour le moins explicite signifiant « tout est permis » en portugais). Il se confronta également à d’autres représentants de disciplines plus ou moins appropriées au combat libre avec beaucoup de succès. Mais c’est face aux judokas qu’il rencontrera le plus de difficultés…
En 1932 eut lieu le premier match de jiu-jitsu brésilien contre judo : il opposait Hélio au japonais Namiki. Ce dernier fut vaincu laborieusement à la toute fin du temps réglementaire. Un groupe de Japonais au Brésil s’empressa de dénicher un judoka capable de se mesurer au maître de jiu-jitsu. Kato fut le premier désigné et perdit connaissance à l’issue du combat ; puis vint Yatsuichi Ono qui ne parvint qu’à obtenir un match nul.
Finalement, un certain Masahiko Kimura, double vainqueur du All Japan Championship, spécialiste de newaza (partie sol du judo) réputé comme un des plus grand champion de judo de tous les temps, accepta de venger l’affront fait à ses prédécesseurs.
Masahiko Kimura
Pour Kimura, l’issue du combat ne faisait aucun doute de part son gabarit (1m82 pour 93 kilos) et sa fâcheuse propension à être toujours victorieux. Il avait tellement confiance en lui qu’il avança dans la presse que le combat ne durerait pas plus de 3 minutes; dans le cas contraire, il consentirait à déclarer Hélio vainqueur. Le match eu lieu le 23 octobre 1951 au stade Maracaña devant une foule immense. La couverture médiatique était impressionnante pour ce match.
Les premiers échanges furent violents : Kimura projeta puissamment le brésilien qui ne résista guère connaissant les talents de son adversaire dans ce domaine. La stratégie d’Hélio était claire: prendre l’avantage au sol. Cependant, le Japonais était bien trop expérimenté dans ce domaine pour se laisser surprendre, et aucun des deux combattant ne semblait pouvoir surpasser l’autre. Les fameuses trois minutes étant arrivées à terme, le public s’écria : »C’est fini ! C’est fini ! » et commença à croire en la victoire d’Hélio .
Helio Gracie et Masahiko Kimura
Mais au fur à et mesure qu’il se fatiguait à tenter des attaques désamorcées les unes après les autres, le judoka prit le dessus. Après 12 minutes de lutte féroce, Kimura plaça une clef d’épaule qui dès lors portera son nom et les frères d’Hélio jetèrent la serviette sachant que celui-ci serait capable de se blesser pour ne pas avoir à abandonner. Hélio avait perdu et à travers cette défaite, c’était l’invincibilité présumée du jiu-jitsu brésilien qui était remise en question. Kimura reconnut en Hélio l’esprit d’un grand combattant et l’invita même à enseigner à l’académie impériale du Japon.
Hélio déclina mais fut très honoré par cette proposition. Kimura décrira plus tard le style d’Hélio comme étant similaire à l’ancien judo ce qui n’est guère surprenant puisque le jiu-jitsu brésilien puise sa source dans les enseignements de maître Mitsuo Maeda.
Hélio subit une deuxième et dernière défaite mémorable quelques années plus tard dans ce qui est reconnu comme le plus long combat libre de l’histoire. Valdemar Santana, un colosse (1m85 pour 95 kilos) tailleur de pierre de profession, avait été un élève de la famille Gracie pendant prés de 12 ans ; il avait même combattu plus de 20 fois pour son école. Mais selon Rorion Gracie, le fils d’Hélio, Santana, avait trahi son maître : il s’était permis de le discréditer publiquement dans les journaux. Ce dernier ne pouvait laisser passer pareille calomnie, cet outrage devait être réglé dans un vale tudo en bonne et due forme.
Helio Gracie et Valdemar Santana
Le début du combat ne fut pas aussi violent que prévu car Santana restait à distance tandis qu’Hélio tentait de venir au contact. Le corps à corps vint enfin et tandis que l’ex-élève se déchaînait en assénant son ancien maître de violentes frappes, celui-ci arrivait sans peine à le contenir de par sa grande expérience. Cependant, ses tentatives de soumissions manquaient cruellement de puissance face à un adversaire de cette corpulence.
Carlson Gracie et Valdemar Santana
De même qu’avec Kimura, il souffrait de son endurance plus que son opposant. Il réussit tout de même l’exploit de résister 3h45 durant lesquelles soumissions manquées, projections et percussions s’enchaînaient avec une rage folle dans un combat de titans qui devait se conclure par un coup de pied reçu de plein fouet dans le visage d’Hélio immédiatement évanoui.
Hélio, alors âgé de 49 ans, avait fait son dernier combat et l’avait perdu mais cette défaite ne ternit en rien son image ; au contraire, puisqu’il venait de prouver que même à son âge il n’avait rien perdu de son esprit de guerrier. Et puis l’histoire ne s’arrête pas là, car le fils aîné de Carlos : Carlson alors âgé de 17 ans et champion de l’école défia Santana à six reprises et obtint quatre victoires et deux nuls.
Hélio reste aujourd’hui le maître spirituel de nombreux combattants de part sa volonté d’acier et son courage à toute épreuve. De plus, il a formé le combattant le plus respecté de l’histoire du jiu-jitsu brésilien, son fils : Rickson Gracie.
Rickson Gracie